Juste erre dans Paris à la recherche de personnes qu’il est seul à voir. Il recueille leur dernier souvenir avant de les faire passer dans l’autre monde. Un jour, une jeune femme, Agathe, le reconnaît. Elle est vivante, lui est un fantôme. Comment pourront-ils s’aimer, saisir cette deuxième chance ?
C'est un premier film épatant de maturité et d'audace, une fable superbe d'une délicatesse dans la peinture des sentiments, d'une originalité dans leur représentation qui font souffler un grand vent vivifiant dans notre cinéma français trop sagement cartésien.
Des dédales de Belleville aux squatts abandonnés de la Petite Ceinture, dans un Paris qui n'est ni tout à fait le nôtre ni tout à fait un autre, erre un garçon discret ; baskets aux pieds, portant bermudas et sweat à capuche, il se fond dans la foule comme s'il n'existait pas. Mais que le Destin vous fasse croiser son chemin, et vos jours sont comptés. Non pas que Juste soit un mauvais garçon, non. Mais il est un peu mort, et ne sachant quoi faire de son éternité, il se voit embauché par la Grande Faucheuse comme agent psychopompe, chargé d'accueillir les décédés de fraîche date pour les accompagner dans l'Au-Delà. Travail routinier dont il s'acquitte avec application mais sans passion : il est mort trop jeune pour prendre la mesure de ce qu'il a raté, et les souvenirs qu'il recueille de la bouche des défunts sont pour lui autant de mystères exotiques, aussi indéchiffrables que la Mort elle-même.
Jusqu'au jour où l'impensable se produit : lui l'invisible, le mort-vivant, est abordé dans la rue par Agathe, une jeune fille toute de chair et d'os, qui croit reconnaître dans les traits de Juste ceux de Guillaume, un amoureux rencontré et perdu dix ans auparavant quelque part en Grèce. Et Juste, abasourdi par ce nouveau mystère, cette faille du système de l'infra-monde, se glisse dans la peau de Guillaume, fait un pied de nez au Destin dans l'espoir d'expérimenter sa première histoire d'amour tout en offrant à Agathe la possibilité de vivre enfin son rendez-vous manqué. Mais le Fatum n'aime guère que l'on se paye sa fiole, et la Camarde encore moins…
L'illusion de l'amour, est-ce encore de l'amour ? Qu'est-ce qui subsiste des êtres qu'on a chéri et perdu, fors le souvenir qu'on en garde ? Agathe aime t-elle vraiment Juste, ou est-elle à la poursuite d'une ombre, obsédée par la certitude d'être passée à coté de la chance de sa vie ? Et Juste, tout à sa joie des découvertes de l'amour, ne joue t-il pas un jeu dangereux en poussant Agathe dans son délire passionnel ? N'eut-il pas mieux valu qu'elle en fasse le deuil ? Tels semblent être quelques-uns des thèmes d'un récit sans cesse surprenant et pourtant toujours cohérent.
Puisant son inspiration aussi bien dans les mythes antiques (reprenant lointainement le conte d'Orphée et Eurydice et celui de Mercure, le dieu romain dont l'un des attributs était de conduire les trépassés dans le royaume des morts – mercure qui est aussi l'autre nom du vif-argent) que les classiques de l'âge d'or hollywoodien (The Ghost and Mrs Muir de Manckiewicz, Peter Ibbetson d'Henry Hattaway), Stéphane Batut tisse patiemment le canevas de son histoire d'amours impossibles et décrit, avec un romantisme jamais mièvre, la passion qui dévore et parfois engloutit, quand elle est méconduite, et malgré tout survit.
Son film est traversé de fulgurances poétiques d'une rare beauté, quand il peint un Paris fantasmatique, solaire et élégiaque le jour, zébré de couleurs irréelles la nuit, peuplé d'âmes errantes à la recherche de leur complétude, ou lorsqu'il projette littéralement sur l'écran les rêveries des morts, leur ultime souvenir, celui qu'ils vont habiter pour l'éternité.
Vif-argent est un film sensoriel qui ne se raconte pas, il s'éprouve, comme une caresse invisible, comme un souffle sur la nuque, comme un dernier crépuscule, un soir d'été, quand on est heureux, sans savoir pourquoi, d'avoir vécu et aimé.