Interdit aux moins de 12 ans
Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena ne sait ni lire, ni écrire. A son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus. Il a 19 ans.
D'emblée, il tombe sous la coupe d'un groupe de prisonniers corses qui fait régner sa loi dans la prison. Le jeune homme apprend vite. Au fil des " missions ", il s'endurcit et gagne la confiance des Corses.
Mais, très vite, Malik utilise toute son intelligence pour développer discrètement son propre réseau...
Tout le monde va vous le dire, tous ceux qui ont pu le voir l'ont déjà clamé sur les toits depuis le festival de Cannes où il a remporté haut la main le Grand Prix : Jacques Audiard est un grand parmi les grands. Découverte pour certains, confirmation pour d'autres que le bougre avait subjugués dès son tout premier Regarde les hommes tomber… et ça ne rend pas la tâche facile aux obscurs scribouillards que nous sommes, réduits à surfer sur une telle unanimité. C'est plus facile finalement de vous parler d'une petite gourmandise dont personne ne vous a causé encore. Ce film-là s'impose et vous en impose avec une telle évidence qu'on en reste sans voix et la plume en suspens. Il a tout pour lui : le fond, la forme, le souffle, la multiplicité des pistes qu'il ouvre et un acteur qui sort de nulle part et prend au fil des images une envergure époustouflante, comme le personnage qu'il incarne : Tahar Rahim, rappelez-vous car vous le reverrez.
Petit jeunot tendre, timide et naïf de 19 ans, analphabète et ignare de tout, Malik el Djebena rentre en taule pour un délit dont on ne saura rien. Arrivé rien du tout dans la fosse aux lions, il en sortira après six ans d'une fulgurante ascension, s'imposant comme un nouveau prototype de caïd qui renvoie au rayon des archaïques les petits truands corses qui l'avaient accueilli et exploité en échange d'une protection à double tranchant.
Il y a un documentaire sur un taulard qu'on a passé cette année dont le héros disait : « la prison a été mon ENA à moi ». Malik pourrait dire la même chose. Faute d'avoir reçu une formation à l'extérieur, ici, il va devoir apprendre, et vite, car c'est sa survie qui est en jeu et Malik est exceptionnellement doué.
Dans ce microcosme violent, c'est un parrain corse qui a la main, César Luciani (Niels Arestrup, d'une belle épaisseur). La première épreuve qu'il va imposer au petit nouveau, c'est l'assassinat au rasoir d'un arabe comme lui. Meurtre qui le hantera de son fantôme et l'accompagnera dans sa progression comme une sorte de conscience dont il ne pourra plus jamais se dissocier.
Larbin du caïd, il accepte d'être son homme de ménage, porteur de café, exécuteur de basses besognes, et à ce titre assiste aux réunions de l'équipe rapprochée de César, qui parle corse dès qu'il s'agit d'échanger secrets et stratégies. Mais dans ce microcosme où les trafics en tout genre, le fric, le cul sont omniprésents, le lien avec l'extérieur, où les affaires continuent, est permanent. Futé, effacé au possible, Malik a l'esprit vif et s'il se laisse humilier, c'est qu'il est au-delà de l'humiliation et s'il se laisse dominer, c'est pour mieux apprendre. La langue corse n'a bientôt pas plus de secret pour lui que l'arabe ou le français dont il apprend l'écriture, ce qui lui donne très vite une vision d'ensemble qu'il va utiliser pour occuper une position stratégique entre le gang des Musulmans qui monte en puissance et celui des Corses constamment sur ses gardes.
Ainsi l'ascenseur social qui lui était refusé à l'extérieur, c'est en prison qu'il va fonctionner, se glissant entre les cultures qu'il a appris à connaître, se forgeant une identité qui va s'imposer avec des moyens peu compatibles avec une société de droit (quoique…), mais qui lui donneront une position de force.
Audiard, avec un brio qui laisse sur le cul, réussit là un polar du niveau des meilleurs films américains : tous ses personnages sont remarquables et complexes et leurs confrontations crédibles jusqu'au moindre détail, depuis la description de l'univers carcéral où on éprouve le poids constant de la violence physique ou mentale, jusqu'à la part la plus intime de la vie des hommes, intense, douloureuse, ravagée… Dans cet univers clos, toutes les tares de la société se trouvent portées à leur paroxysme, bouillon de culture où le racisme, la haine, le désespoir culminent. Mais, simultanément, la part d'humanité est telle qu'on est séduit, charmé par ce jeunot qui saisit la seule et terrible chance qui s'offre à lui de grandir, de devenir quelqu'un… alors que la société civile ne lui proposait rien d'autre que mépris, répression et rejet.